René Béhaine dans le Dictionnaire des Contemporains

(le Crapouillot n° 42 : octobre 1948) 

Le nouveau Dictionnaire des Contemporains publié par le Crapouillot en 1948 contient un article sur René Béhaine, illustré par une photo de l’écrivain avec son chien Dim. Comme les autres notices, celle-ci est composée de deux parties : la première est bâtie à partir des  réponses de l’auteur au questionnaire qui lui a été adressé ; la seconde est un commentaire sur l’homme et son œuvre signé par un des rédacteurs de la revue.

Cette notice intéressera certainement les lecteurs des Cahiers qui ne possèdent pas la collection de cette revue non conformiste. C’est pourquoi nous la reproduisons ici.

Béhaine René, romancier fleuve. – « Décoré du Grand Cordon de la Prédiletta, attribué pour la culture du chou-fleur et autres végétaux alimentaires. » - Né à Vervins (Aisne) en 1870 *. Taille : « jamais passé sous la toise, pas assez grande pour moi » (1). Asc. : Thiérache. Fils du président Gaston Béhenne (Béhaine est l’orthographe ancienne), neveu de l’amiral Dieuloir. Hab. : « La Prédiletta » Villefranche (A.-M.). Voiture : « Les autobus, pardi ! » Sport : la natation, été comme hiver. Distr. : le jardinage et les amis. Végétarien, mais pas buveur d’eau. A.f. : caniche marron, « Dim », parce que recueilli un dimanche, et 5 chats, également recueillis. Collection : « Les stupidités écrites ou prononcées par ses contemporains. » Débuts : « Passé devant le conseil de discipline pour avoir écrit pendant les heures de cours au lycée Charlemagne un manifeste royaliste. » Prix : un Montyon - Maria Star (35). Gd Prix des Gendelettres (58). 

Livres : Histoire d’une Société : 11 volumes chez Grasset ; 1 au Mercure ; 1 chez Laffont : 1 au Milieu du Monde ; 2 à paraître.

Yvonne Préveraud de Sonneville a illustré Béhaine. 

Particularité : « N’a même pas - vu son horreur de toute publicité - consenti à remplir ce questionnaire et partant à le signer. »

A préféré dicter sa réponse à sa fidèle secrétaire qui a bien voulu nous la transmettre. 
 

(1) Veinard ! (N.D.L.R.) 

* Erreur ! René Béhaine est né le 17 juin 1880. (note X.S.) 

« René Béhaine qui n’est encore considéré comme un maître que par une élite, a écrit Léon Daudet, connaîtra demain une renommée universelle. » Des années ont passé. Les volumes de l’Histoire d’une Société forment maintenant une masse impressionnante. Et Béhaine est encore à découvrir.

Le public, qui a fort bien accepté la littérature à thèse de Sartre et de Simone de Beauvoir, et qui a fait un triomphe à un livre aussi ennuyeux que La Peste de Camus, a été rebuté par les digressions philosophiques peu folâtres  dont les romans de Béhaine sont parsemés. Il est vrai que cette œuvre ne va pas « dans le sens de l’histoire », elle n’a pu bénéficier de la propagande de nos penseurs de la grande presse. Résolument à contre-courant, Béhaine a toujours conçu une société aristocratique dirigée par un roi. Si l’on ajoute que le héros de Béhaine est athée, que, refusant d’obéir à une loi de brute, il se considère comme dispensé de porter les armes, on ne voit guère quelle « famille d’esprit » aurait pu assurer le succès d’une telle œuvre.

Pourtant cette longue chronique des vingt-cinq premières années de ce siècle (et ce n’est pas fini) vue à travers la vie d’une famille française est bien attachante. Cette famille, c’est, bien entendu, celle de l’auteur lui-même. Maints événements, maints personnages sont pris dans la vie. (C’est ainsi que Grasset a servi de modèle pour un éditeur, peint d’une manière extraordinaire.) L’observation, chez Béhaine, est extrêmement aiguë. Les gens sont aussi finement analysés que dans l’œuvre de Proust. Comme chez l’auteur d’A la recherche du temps perdu, la passion du détail juste, un grand sens du comique dans la peinture des ridicules rendent toute la partie romanesque très vivante. C’est l’album de famille le plus vrai, le plus cruel que l’on puisse imaginer. Béhaine réussit ses portraits simplement en n’omettant rien. Cela ne va pas sans quelque inélégance de style. Mais cet auteur sacrifie tout à la précision et au souci d’être complet, semblable en cela à Raymond Roussel, qui fut aussi un écrivain « en marge ».

Les pages consacrées au fils du héros constituent un admirable poème d’amour paternel. Les plus belles sont sans doute celles où l’on voit le petit garçon s’éveiller à la vie.

Personnalité inclassable, auteur d’une œuvre ambitieuse et forte, René Béhaine mérite une revanche sur un temps où trop souvent, selon la formule de Cocteau, « le pluriel l’emporte sur le singulier ».  -  Georges Allary.