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Rene Behaine et la crItique

(renseignements complémentaires)

 

 

Outre les livres et articles mentionnés dans l’introduction, nous avons pu consulter la thèse de Viviane Smith intitulée « la première manière de René Béhaine » (Doctorat d’université, Paris-Sorbonne 1978) et qui porte sur les sept premiers volumes de l’Histoire d’une Société : les 6 premiers qui furent réédités par Grasset en 1928 et Au prix même du bonheur, paru chez le même éditeur en 1930.

 

C’est une étude plus sociologique que littéraire, dans laquelle le structuralisme, voire la psychanalyse, et parfois Marx et Freud, sont appelés en renfort d’une analyse des principaux thèmes de l’œuvre qui, par son classicisme, s’y prête admirablement. « Béhaine, note-t-elle, ne travaille ni en peintre ni en architecte, il est créateur de « mobiles » complexes et solidaires, la société qu’il nous fait imaginer est un système en mouvement. »

Son intérêt littéraire est reconnu un peu en passant, mais semble résulter plus des schémas mentaux mis à l’honneur par la critique de l’époque que du génie propre de l’auteur. Sa conclusion est cependant très positive et on doit en saluer l’impartialité et la clairvoyance :

 

« Cet univers romanesque allie de façon déconcertante un personnage central d’une idéologie réactionnaire à des procédés romanesques divers, inventifs et précurseurs. Le climat du texte l’emporte sur le déroulement du récit, ralenti jusqu'à l’immobilisme. Les traces d’un humour corrosif donnent un relief plus aigu aux analyses cruelles. L’auteur s’est risqué à la phrase longue, difficile à lire, qui retient les uns et décourage les autres. Enfin, en creusant le particulier d’une âme, celle de Michel, le romancier rejoint le général, procédé romanesque également précurseur. Le lyrisme de Michel, antihéros qui se veut héroïque, retentit comme la complainte, proférée devant le tribunal du lecteur, de la condition humaine tout entière. »

 

On notera, à propos du premier volume, Les Survivants, une intéressante comparaison entre Mauriac et Béhaine, celui-ci désigné comme précurseur de celui-là, - et, à propos des volumes suivants, cette curieuse remarque : « Avant que le couple soit officiellement reconnu et vive ensemble, des scènes de ménage ubuesques font rage et seul Jouhandeau dépasse en acrimonie l’épopée des chicanes du couple ennemi et inséparable. »

D’autre part, Viviane Smith souligne l’importance de l’apport de Catherine à l’élaboration de l’œuvre du romancier et pense même que la perspective de cette collaboration a été l’élément décisif qui l’a fait pencher vers la solution du mariage, « malgré ses propres doutes et les funestes prédictions de sa famille. » Elle voit d’ailleurs dans la rupture du couple, presque aussitôt après le suicide de leur fils, un tournant capital : « La tendance aux vaticinations et aux élucubrations métaphysiques va envahir l’œuvre comme une mauvaise herbe. La maîtrise du style est acquise, la pensée mûrit et les belles pages abondent, mais un sens de l’équilibre et de la légèreté s’est évanoui avec le déclin de l’influence de Catherine. »

 

 

 

Enfin relevons ces quelques indications biographiques importantes :

 

-     23 novembre 1869 Naissance de Marie-Louise Bauley, la future femme de l’écrivain

 (si cette date  est exacte, elle serait son aînée de onze ans).

 

- 1911                           Naissance de Jean-François Béhaine.

 

- 1920                           Installation au château de Morgny (Aisne), acquis par héritage.

 

- 1926                           Installation aux Rastines, à Antibes (Alpes-Maritimes).

 

- 1934                           année capitale qui est celle du suicide de Jean-François

et de la séparation du couple ; le romancier quitte le domicile conjugal et va vivre à Nice avec Renée Davis, veuve, journaliste, juive.

 

Viviane Smith rappelle cette fière déclaration de René Béhaine, écrivant, à l’âge de dix-sept ans, à son futur beau-père : « Je veux, marié, écrire une œuvre comme La Comédie Humaine ou Les Rougon-Macquart. Je suis certain de le faire. » Michel ne semble-t-il pas, en effet, le frère ressuscité d’Eugène de Rastignac, de Louis Lambert ou du Raphaël de la Peau de Chagrin - ou, comme semble le penser Viviane Smith, est-ce Béhaine lui-même qui est un personnage échappé d’entre les pages de l’œuvre de Balzac, poursuivant seul une route dont il ne connaît pas l’issue ; la volonté qui l’anime est semblable à celle des héros balzaciens qui, s’ils ne rêvaient pas toujours de transformer le monde, poursuivaient eux aussi, bien souvent, et avec la même volonté opiniâtre, des buts aussi chimériques.

 

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Dans sa volumineuse Histoire de la Littérature française du Symbolisme à nos jours (Albin Michel, 1950), Henri Clouard donne de l’œuvre de Béhaine qu’il qualifie, prenant Verviers pour Vervins, d’ « écrivain né Belge », une idée totalement  négative. « Un seul volume, écrit-il, aurait dû suffire à raconter cette aventure familiale. Mais l’esprit de satire a gonflé Béhaine, qui construit sous ce prétexte romanesque un monument d’idées antidémocratiques... Le malheureux Michel se momifie sous un ennui de digressions, dans un embaumement d’analyses au ralenti. L’auteur de L’enchantement du Feu, d’O Peuple infortuné, du Jour de Gloire et de neuf autres volumes qui tous portent comme titres des énigmes pompeuses, s’est défendu fort inutilement d’avoir imité Proust. Ses lents détours serpentants, ses labyrinthes de mémoire, purement cérébraux, se développent en surface et aux antipodes de la poésie. Béhaine a visé au roman-fleuve, n’aurait-il pas abouti à ce qu’Eugène Montfort appelait le « roman-mare » ? » Malheureux Clouard ! est-ce bien lui qui a écrit, dans son essai sur Charles Maurras et la critique des lettres : « La perspicacité n’est pas moins indispensable au critique que le don de sentir vivement » ?

Quant à Kléber Haedens, dans Une Histoire de la Littérature française (Gallimard, 1954), il se contente de le mentionner. « A la recherche du temps perdu est un roman-cycle en plusieurs volumes comme l’étaient déjà le Jean-Christophe de Romain Rolland et l’Histoire d’une Société de René Béhaine ». Mais toute une partie de son évocation de la Recherche vaudrait aussi bien pour l’œuvre de ce dernier : « Tout un pays... explosant de haies printanières et de jardins sous la nuit, caressé par les océans, frileux, doré et splendidement drapé par le soleil, monte de la page irradiée de longues phrases sinueuses, illuminée de métaphores rebondissantes, ruisselantes de la fraîcheur du matin ou doublées par le velours du soir. On comprend alors, ajoute-t-il, que le livre de Marcel Proust est un grand poème de la mémoire, un envahissement du songe par la présence active du passé. »

 

Albert Feuillerat (1874-1953), beau-frère de Paul Bourget et Directeur des études romanes à l’Université de Yale, a tracé de René Béhaine, dans le Bulletin des études françaises (Montréal, mars 1942) un portrait admiratif, tant de l’homme que de l’écrivain. « Bondissant, souple et svelte, sous la lumière radieuse qui auréolait la masse épaisse des cheveux, impétueux, combatif, bouillonnant de jeunesse - tel m’apparut René Béhaine, la première fois que je le rencontrais dans la ville méditerranéenne près de laquelle il habite. On eut dit quelque chevalier errant, un Saint Georges à qui il ne manquait que l’armure et la lance pour terrasser l’éternel dragon [...] Sa critique de la bourgeoisie déchue s’est épanchée dans une suite de tableaux significatifs, vigoureusement brossés, à la composition desquels ont collaboré un observateur perspicace, un moraliste passionné et un humoriste narquois qui prend plaisir à montrer l’humanité toute nue, dans ses contradictions et ses ridicules - l’ensemble composant une vaste fresque qui complète celle que Proust nous a léguée de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie à la même époque. » Faisant justice des imputations d’une critique malveillante, son article est intitulé : Un précurseur de Marcel Proust : René Béhaine.

 

Après la guerre, notre auteur a été signalé, le 24 août 1960, aux lecteurs de Carrefour par un article de Maximilien Vox, intitulé « Un romancier de génie, René Béhaine » ; à ceux des Nouvelles Littéraires, le 13 janvier 1966, par un article de Ginette Guitard-Auviste  dont le titre était : « Histoire d’une Injustice » ; dans Ecrits de Paris de mai 1960, Yves Gandon publiait « Explication de René Béhaine » ; enfin, plus récemment, Jean Mabire insérait dans sa série Que lire de National-Hebdo « René Béhaine, la « comédie humaine » d’un siècle tragique ».